Rebond ? Reconversion ? Non ! Vivre ses rêves, plus simplement. En 2020, en raison de la crise sanitaire, j’ai mis en sommeil mon activité de conseil aux entreprises. J’ai pu alors consacrer mon temps à de saines et classiques activités de retraité : la peinture, la cuisine, la lecture. J’en ai profité pour approfondir le séchage et le fumage des viandes. Des recherches, des tests, de la bonne viande d’Ariège, pas mal d’audace, et mes produits rencontrèrent vite un sympathique succès dans mon entourage. De là, l’idée d’en faire profiter beaucoup plus de monde… Le projet Magrada s’est imposé.
Magrada familha (famille en langue d’Oc) est un titre qui m’a été suggéré par des amis. L’affaire est en effet familiale. Mon épouse Noémie n’était pas hostile au projet et fut conquise au fur et à mesure des dégustations au point d’en devenir complice. Mon fils Edmond, d’abord sceptique devant ce qui ressemblait à une fantaisie, est lui-aussi tombé sous le charme des viandes séchées, et a décidé de rejoindre l’aventure. Sa sœur Clémence, très proche par son métier des producteurs ariégeois, son frère Octave, professionnel aguerri de l’agroalimentaire, ont prodigué leurs conseils et leurs encouragements. S’est ajouté le soutien de la famille et des amis qui ont abondé le capital de départ. Le projet a pris corps…
Il a fallu passer aux actes et apprendre, beaucoup apprendre. Nous avons réalisé des stages en entreprises (merci à la Charcuterie Cazaux du Couserans et à Ulysse, charcutier en Pays de Foix), suivi des formations à l’hygiène et la sécurité, constitué un dossier de demande d’agrément, établi les plans du laboratoire et de son équipement. Bref, passé une à une les étapes qui ont abouti à notre inscription au registre des métiers. Nous voilà artisans, et fiers de l’être !
Pourtant, j’étais banquier. Si l’on en croit Philippe Geluck : « La principale différence entre le boucher et le banquier c’est qu’il y en a un des deux qui ne dira jamais : Il y en a un peu plus, je vous le mets ? » (« Le chat est content »). J’ai réalisé une conversion improbable et pourtant cohérente. Même si mon métier m’a apporté beaucoup de satisfactions, j’ai toujours un peu regretté de ne pas être artisan ou artiste. Eux seuls ont le privilège de créer des choses de leurs mains, de les toucher, de les sentir, de voir et partager leurs productions. Dans les entreprises, on peut entreprendre, innover, créer, vivre des moments d’enthousiasme, mais on a rarement la satisfaction de voir le « produit fini ». Si bien que le bonheur y est souvent modéré de frustration, surtout lorsque d’autres viennent marcher sur vos rêves. En disant cela, je ne nie pas les difficultés et déceptions des artisans, je dis seulement qu’elles ne sont pas de même nature.
L’image de l’artisan est pour moi celle du boucher de mon enfance. Il me fascinait. J’aimais le voir manipuler les chairs, les trancher, les disposer sur le papier, les peser. J’aimais le voir aiguiser son couteau. Les boulangers, les libraires, les fleuristes, n’ont jamais suscité pour moi autant d’intérêt que les bouchers charcutiers. Un mot de Jean Lurçat, peintre au début du 20° siècle, qui a ressuscité la tapisserie avant de se mettre sur le tard à la céramique, me vient à l’esprit : « Et maintenant, je fais de la vaisselle ! ». À mon tour, agronome dédié au développement rural dans le Sahel, puis banquier voué au financement de l’économie, je dis : « Et maintenant, je fais de la charcuterie ! »